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UNE DÉFENSE DE LA POÉSIE
Cela se passe
Ici
Entre la sensation aiguë et le sentiment latent
Entrant tu
As troublé le vieux jeu de l’âme
Et du paysage
Alors j’ai bien besoin de toi pour avancer.
  
Quel bonheur te voir surmarcher
Mon territoire, échanger quelques mots
Insignifiants de passe avec les nains
Du jardin. Les figures humaines s’étaient tues
Dans la partie construite du domaine
À la frontière à peine un vieillard retenait-
Il l’attention en tranchant la queue d’une banane
Affublée d’un code-barre avec un couteau suisse.
Oui, dès la première sensation
La face visible annonce la couleur
Le code du jour : la nature
De son lien avec la cachée. Cela se passe
Ici, non pas dans le « non-dit »
Mais entre les vues du moment
Du quartier tout à fait fidèles
Et ce qu’elles couvrent qu’il faut dire.
Un vérin hydraulique soutient la galerie
Je m’y appuie, j’éprouve sa résistance
À chaque ligne. Chaque ligne mesure
La distance entre le décor
Constat que l’on dresse et son ombre
Inventaire que l’on couche par écrit –
Entre la sensation aiguë et le sentiment latent, entre
Entre. Or cette proportion capricieuse qui règle
Mon débit maladif, le rythme, le débite
Avait gelé dans les lieux familiers. Tout un pan
Gagné par le désert et ses nuits froides
Et son vent-fou-que-nul-n’écoute-impunément.
Le même manège : regards d’habitués qui s’évitent
Préfèrent se rendre la monnaie des paroles de profil
Murs et chaussée lustrés par la rêverie
Pour la rêverie, sketches mille fois répétés
Devant une assemblée de chaises. Entrant tu
As troublé le vieux jeu de l’âme
Et du paysage. L’air que tu déplaces en marchant
A regonflé les figures de cartes d’ici.
– Cela nous fait un peu beaucoup d’images
Non ? De quoi parlait le téléfilm hier soir ?
Même pas compris si c’était un docudrama
Ou quoi. – Oui, tout se mêle ce matin
Plutôt se juxtapose, une vue clap une autre
Dosages inégaux de soleil, passants, voitures, ciment
Que rien ne lie sinon l’analogie dont la raison
Fuit dans la vue suivante. – Au moins j’espère
Qu’en les cousant tu cernes un peu mieux
Ce qu’elles couvrent dans ta pauvre petite tête.
– En deux mots j’appelle ça le sentimental
Alors j’ai bien besoin de toi pour avancer
D’une comparaison à l’autre ironiquement
Naïvement dans cette lumière indirecte
Cette « réalité » qui se cite elle-même
Et se distance. Car derrière elle, loin derrière
La réalisme et l’imagination piétinent
Dans un mortel docudrama. – C’est tout ?
– C’est tout, j’ai trop parlé, c’est de ta faute.
Maintenant changeons de terrasse
Cherchons du silence mais dehors.
A DEFENSE OF POETRY
That happens
Here
Between the acute sensation and the latent feeling
Entering you
Troubled the old game of both soul
And landscape
So I really need you if I’m to advance.

What joy to see you walking over
My territory, exchanging a few
Insignificant words in passing with the garden
Gnomes. Human figures had become silent
In the constructed part of the domain
On the boundary an aged man barely held
Anyone’s attention as he cut the end off a banana
Bearing a barcode with a Swiss penknife.
Yes, from the first sensation
The visible side announces the colour
The code of the day: the nature
Of its link with what’s hidden. That happens
Here, not in the ‘un-said’
But between the views of the moment
Of the area all completely accurate
And what they cover up is what must be said.
A hydraulic jack supports the gallery
I lean on it, I test its resistance
On each line. Each line measures
The distance between the décor
The record set up and its shadow
Inventory you lay down in writing –
Between the acute sensation and the latent feeling, enters
Between. But this capricious proportion that rules
My unhealthy flow, rhythms it, gets it going
Had frozen in the usual places. A whole area
Invaded by the desert and its cold nights
And its mad-wind-that-no-one-listens-to-expecting-to-get-away-with-it.
The same set-up: the gaze of regulars who avoid each other
Preferring to hand back the change of words in profile
Walls and floor polished darkly by daydreams
For daydreams, sketches rehearsed a thousand times
Before an audience of chairs. Entering you
Troubled the old game of both soul
And landscape. The air you displace when you walk
Has re-swollen the card figures that belong here.
– That leaves us with quite a lot of images
Doesn’t it? What was last night’s TV drama about?
I didn’t even get if it was a docudrama
Or something else. – Yes, everything’s getting muddled up this morning
Or rather juxtaposed, one view bang another
Unequal doses of sun, passers-by, cars, cement
That nothing links except the analogy whose logic
Vanishes into the next vision. – I hope at least
That when sewing them together you understand more clearly
What they’re hiding in your poor little head.
– In two words I call that the sentimental
So I really need you if I’m to advance
From one comparison to the other ironically
Naively in this indirect light
This ‘reality’ that quotes itself
And moves away. Because behind it, far behind
Realism and imagination stand around
In a mortal docudrama. – That’s all?
– That’s all, I’ve said too much, it’s your fault.
Now let’s change terrace
Let’s look for silence but outside.