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LE TEMPS EN COULEUR
Vite ! Des couleurs par la fenêtre
Des couleurs sur les champs et les forêts
Avant que le temps change
Et change tout
Qu’il vide de leur substance les champs et les forêts
Les étangs, les fermes
Comme le soleil est fugace !
Comme le ciel se rit de notre regard admiratif
L’éternité n’est qu’un trompe-l’œil
L’immensité, une abstraction douteuse
L’or des blés – vite !
Le rose des pierres de construction – vite !
Le vert froid des frondaisons – vite !
La rouille des buissons, des rails, du ballast – vite !
Le jaune du colza dans les champs presque noirs
L’argent des cours d’eau
Le vert bruni par le limon des rivières poissonneuses – vite !
Le violet des choux en carrés sages – vite !
Le gris des routes – vite !
Le bleu absolu des journées claires de l’automne adouci par le sud – vite !
Le rouge ! Le rouge ! Le rouge des tracteurs, des automobiles, des signaux – vite !
Le rouge d’une casquette de chasseur, le fusil coincé sous l’aisselle – vite !
(Et bientôt le rouge imaginé du sang la bête morte)
Le vert métallique de nos peupliers routiers – vite !
Le bleu des toits en ardoise – vite !
Le bleu des montagnes lointaines – vite !
Bleu de la pierre, bleu de l’horizon,
Bleu de la lumière tombée en fine vapeur sur le monde – vite !
Et le blanc – j’allais oublier le blanc – le blanc des chemins de poussière ou de terre
Le blanc des vaches paressant dans l’herbe des pâturages – vite !
Le blanc omniprésent et méprisé par l’œil 
D’un mur entre deux cyprès, de camions roulant à vive allure
Le blanc – vite !
Puis le noir ! Le noir ! Le noir de la terre féconde tournée et retournée – vite !
Le noir d’un cheval que les trains rendent fou
Qui galope en cercles affolés le long des barrières de l’enclos – vite !
Le noir d’une cheminée de village aussi muette qu’une bouche fermée – vite !
Le noir d’un clocher de village qui ne rejoindra jamais les bras du sauveur – vite !
Le blanc, le noir, le vert, le rose, le bleu et l’or –
Vite ! Vite ! Vite ! 
TIME IN COLOR
Quick! Colors through the window
Colors on fields and forests
Before the weather changes
And changes everything
Empties fields and forests of their substance
And ponds and farms
How fleeting the sun is!
How the sky mocks our admiring gaze
Eternity is an optical illusion
Immensity a dubious abstraction
The wheatfields’ gold – quick!
The pink of bricks piled on a building-site – quick!
The foliage’s chilly green – quick!
The rust-color of bushes, train-tracks, roadbeds – quick!
The yellow of colza in nearly-black fields
The silver of streams
The silt-browned green of fish-filled rivers – quick!
Cabbages’ purple in well-mannered squares – quick!
The road’s grey – quick!
The absolute blue of clear sun-softened autumn days – quick!
Red! Red! Tractors’, cars’, traffic-lights’ red – quick!
The red of a hunter’s cap, his rifle wedged in his armpit – quick!
(And soon the imagined red of a slain beast’s blood)
The metallic green of our roadside poplars – quick!
Blue slate roofs – quick!
The blue of distant mountains – quick!
Stone blue, horizon blue,
Blue light falling in a fine mist on the world – quick!
And white – I had almost forgotten white – the white of dusty roads, earthen ones
The white of cows lazing in pastures – quick!
Omnipresent white, that the eye disdains
Of a wall between two cypresses, of trucks going swiftly past
White – quick!
Then black! Black! The black of fertile earth ploughed over and over again – quick!
The black of a horse driven mad by the trains
Who gallops in crazed circles alongside the fence – quick!
The black of a village chimney silent as a closed mouth – quick!
The black of a village church-bell never to be caught up in the savior’s arms –
   quick!
White, black, green, pink, blue and gold –
Quick! Quick! Quick!