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MONSIEUR NÉANT EN ALPINISTE MIRACULÉ
Au motel La Destinée monsieur Néant prépare soigneusement
le dernier acte
d’une comédie commencée quelque soixante ans plus tôt dans
un pays d’Afrique
sous les drapeaux et les acacias blanchis à la chaux
c’est la plus longue comédie de l’histoire
il l’a vécue, incarnée, réalisée jour après jour
elle à qui il aura tout consacré le regarde maintenant en face
et lui rit au nez.
Monsieur Néant a allumé le poste de télévision qui ne diffuse
à cette heure-ci
que des jeux dont les gains consistent en des appareils électro-
ménagers des sommes dérisoires
ou des conjoints pour relations durables ;
par la fenêtre de sa chambre il voit le flot de la circulation
vespérale
des enseignes partiellement éteintes de l’autre côté de l’auto-
route
(ce qui donne des combinaisons amusantes tels ces Nootel ou
Koak)
et un euphémisme de la nature sous la forme de talus herbeux
que picorent des corbeaux.
Il s’est rasé, a revêtu son costume de marié, chaussé des escarpins
cirés au préalable ;
une bouteille de Condrieu et Une ténébreuse affaire de Balzac
occupent la petite table
prévue pour le téléphone.
Sauf erreur de sa part, il pense constituer la totalité de la
clientèle de l’établissement tant le silence est profond.
Apercevant une feuille de papier à en-tête il y note une
question :
Par qui souhaité-je me faire accueillir ?
Et la réponse : La Fontaine.
La feuille, pliée en quatre, est glissée dans une enveloppe qu’il
place bien en évidence
Sur le traversin
puis il s’allonge et ferme les yeux.
Le lendemain il raconte en détail le déroulement de la scène à
son analyste le docteur Friedel
qui lui serre la main avec effusion comme à l’unique rescapé
d’une expédition himalayenne. 
MR. NOBODY AS THE LAST MOUNTAINEER
In the Destiny Motel, Mr. Nobody carefully reworks the last act
of a play begun six decades earlier in an African country
beneath its flags and lime-whitened acacias.
It’s the longest comedy in history
he lived it, embodied it, staged it day after day
but now, though he gave it everything, it looks him in the eye
and laughs in his face.
Mr. Nobody has turned on the television which at this hour broadcasts only
game-shows whose prizes are electrical kitchen appliances, paltry sums
or spouses for lasting relationships.
From the window of his room he sees the vesperal flow of traffic
partially blanked-out billboards on the other side of the highway
(with amusing results like Nootel or Koak)
and a euphemism for nature in the grassy road-shoulder pecked by crows.
He has shaved, put his bridegroom’s suit back on, and the dress-shoes he’s polished.
A bottle of Condrieu, and Balzac’s Une ténébreuse affaire occupy the little corner table
meant for a telephone.
Unless he’s missed something, he’s convinced he constitutes the entire clientele of this establishment so thorough is the silence.
He glimpses a sheet of letterhead paper and jots a question on it:
By whom would I like to be greeted?
And the answer: La Fontaine.
He slips the paper, folded in quarters, into an envelope he leaves prominently visible on the bolster
then he stretches out and closes his eyes.
The next day, he describes the scene in detail to his analyst, Dr. Friedel
who shakes his hand effusively as if he were the sole survivor of a Himalayan expedition.