Si je me souviens des biafrais, une sorte de spécialité laitière mélangée à des os, auxquels je devais penser de 1967 à 1970 pour finir mon assiette.
Il n’y a pas grand-chose dont je me souvienne
j’ai dû vivre à côté tout le long
sans être ailleurs non plus
je m’en souviendrais
je ne me souviens pas qu’un jour tout ou quelque chose ait basculé.
– Souviens-toi de rester vivante.
Je mélange les lieux où tombent les hommes qui tombent.
Je ne me souviens pas où sont les lignes de front
si nous pouvons mettre autour
et les enfouir
appuyer ses doigts le long
les masser puis les marcher avec les pieds
dessus courir sans se prendre les pieds dedans.
Je ne me souviens pas de l’histoire ni de la géographie de ce qui
s’accomplit je ne me souviens pas de la situation des pays les uns
par rapport aux autres sauf alphabétiquement
l’Iran touche l’Irak touche le Koweït
le K de Kurdistan dans Turquie dans Irak
les K de Congo
dans Kasaï Kiwu Katanga
les voyelles entremêlées de Rwanda Burundi Ouganda
je me rappelle les proximités sonnantes
Daghestan Kazakhstan Kirghizistan près d’Afghanistan
les voies ghijk de l’acheminement du pétrole
les S de squelettes dans Somalie Soudan
et les os du E de Erythrée Ethiopie.
Je ne me souviens pas de ce dont les journaux que je lis ne
parlent pas ni de ce qu’ils citent comme événements de
référence je ne me souviens même pas en avoir un jour entendu
parler ni qu’on m’ait raconté ce dont je ne me souviens pas.
Suis-je le souvenir indifférent de ce dont je ne me souviens pas ?
Etait-ce avant que je puisse me souvenir qu’on avait déjà résolument
voulu perdre la mémoire envers ceux qui ne se souviendraient pas ?
Pourtant il y a des choses je le sais dont je n’ai pas le droit de dire
que je ne m’en souviens pas
des choses prodigieuses ou terribles délibérément brouillées dans un
passé dont je ne ferais plus partie comme si cela était possible.
Les lettres de ce dont je ne me souviens pas
sautent sans que je puisse déchiffrer
ce qu’elles bruissent
insinuant juste que
reléguées hors
je ne dois plus respirer
pas bouger.
Je dois retrouver les mots de ce dont sinon
je vais perdre tout à fait la trace
la trace que laissent les corps
au lieu des mondes inventés
possibles disparus on ne sait pas où.
On me dit que ces mots exagèrent
c’est plus compliqué tu ne peux pas
dire les choses si
simplement d’un côté
les tueurs et de l’autre
les morts.
Ce ne serait donc pas brutalement simple
et seuls les mots seraient inhumains.
Je récite ce dont je ne me souviens pas me souviens
à la recherche d’une place dans le récit
qui n’est pas dans ta langue indifférente
mais dans les bribes qui viennent d’ailleurs
ailleurs auquel nous devrions appartenir
au lieu de nous dissiper avec ce que nous faisons disparaître.
Il faudrait souffler beaucoup plus d’air autour des nouvelles qu’elles
volent en cercle autour de nous le soir
avec les hirondelles qui crient
je ne me souviens pas où s’enfoncent
les affamés auxquels je vole
puis largue la nourriture émiettée
chutent les lettres minuscules des nouvelles
effacées les unes dans les autres
sur les squelettes dans toutes les positions
de très jolies photographies avec de grands yeux
il faudrait souffler beaucoup plus d’air
autour des hommes qui tombent
pour qu’ils remontent en cercle
le soir autour de nous
avec les hirondelles
qui crient
ellipses
mais rapportent leurs visages.
Nous souvenir de ce qui nous élan
cerait dans l’ac
tion jour
seoir
jourdir des lignes
privées traversantes de dans hors.
Nos élans par tous les temps frappés jour
dessus jour dessous
nous pouvons
nous
soulever
même si nous entendons le comique
des mots moqués se relever sans disparaître.
Dans ma bouche nous
quel nous ?